Les citadins sont un genre assez particulier à observer, vous ne trouvez pas?
Je laisse la parole à mon copain, il va vous en parler.
" Je suis une vedette quelques semaines avant mon apparition, et pourtant, il me faut des années avant de pouvoir vous rendre visite.
Saison après saison, je monopolise plusieurs personnes, directement ou indirectement. Plusieurs métiers vivent grâce à moi.
Et puis, un jour, mon impressario juge que je suis prêt.
Alors, mes copains de primaire, ou de collège, ou parfois de lycée (eh oui, nous ne sommes pas tous destinés à la même audience, donc on nous met sur le devant de la scène à des âges différents) ou d'université et moi, on nous inspecte une dernière fois. Certains pleurent de voir qu'ils ne sont pas sélectionnés.
Malheur à ceux qui n'ont pas grandi droit et dont les dents ne sont pas alignées. Malheur à ceux dont la chevelure paraît trop parsemée ou effilochée. Malheur à celui dont la colonne vertébrale d'apparence droite et solide se casse lors du rassemblement.
On nous fait monter dans de beaux camions ronronnant, on nous mène à notre gare de triage. Pas besoin de préparer nos bagages, on nous a tous briefés, nos familles d'accueil nous fourniront tout le nécessaire.
Le bruit court que certains seront affublés de manteaux molletonnés hideux, de couleurs plus ou moins criardes, comme du rouge ou de l'orange, du blanc ou du violet, bref nous partons pour le carnaval.
Des hommes mal payés nous manipulent au petit matin pour nous descendre du camion et nous parquer très serrés. Déjà, certains d'entre nous commencent à tourner de l'oeil et virent au gris. Mais c'est trop tard, ils ne seront pas évacués. Les manipulateurs s'en vont et nous passons quelques heures à lancer des regards apeurés autour de nous. A nous lancer des appels de plus en plus assurés au fur et à mesure que nous voyons qu'ils ne provoquent nulle catastrophe.
"Arthur, t'es là ?"
"Oui, mais j'ai pas vu Bertha. Bertha ! Quelqu'un a vu Bertha ?"
Le répit est de courte durée, dès le lendemain, des hordes de gens se précipitent. Des papas tenant les enfants sur leurs épaules, des mamans dubitatives, des grands pères gringalets et des jeunes cadres dynamiques, tout le monde se met à nous tripoter dans tous les sens, notre pudeur en prend un coup.
Et c'est la séparation définitive de nos copains de classe, après avoir été mis dans des filets (des fois qu'on ait envie de se sauver, vous comprenez) et coincés dans des coffres de voitures surchauffées.
Après, on nous débarque et quelques disputes éclatent dans nos oreilles:
"Chaque année c'est pareil, tu en prends un trop grand/petit,
tu vois bien qu'il est dégarni du haut,
je ne trouve pas le carton, où as-tu mis ce foutu carton..."
Nos chaste oreilles en prennent un coup parfois.
Avec un peu de chance, ça se passe très bien et tout le monde rit et prend du plaisir à nous parer, nous entourer, on écoute de jolies histoires et on commence à se sentir chez nous dans cette nouvelle famille d'accueil.
Bon, je ne vous cache pas que souvent on a trop chaud !
Mais après tout, nous pouvons penser que l'été est en avance.
Voilà à quoi nous ressemblons quand notre famille nous a enfin adoptés:
Mais quelques jours, ou quelques semaines plus tard, on nous maltraite, et on finit à la rue, comme une chose insignifiante et qui ne pourra plus jamais servir.
Certains ont la chance d'avoir été complètement déracinés et finissent leur vie dans un coin de jardin trop petit avec une terre mal adaptée, regrettant nos tendres et vastes forêts des Vosges ou d'ailleurs."
Hé oui, le sapin de Noël est un marronnier, un sujet récurent, dont on ne parle qu'une fois l'an, on sait pourquoi, c'est la nativité d'un Dieu, que les citadins fêtent en tuant un arbre.