Je me suis amusée à broder autour de l'idée de Jill-Bill (voir son blog ici:lien ), j'espère que mon texte vous plaira ?
Toute ressemblance avec des personnages existants est purement fortuite !
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«Zut, j'ai oublié de prendre rendez-vous ! »
Je lève la tête, interloquée.
« Où ça ?
- Chez Labro.
- Ah, pourquoi ? Ai-je demandé prudemment, ne voulant me montrer ni inquiète, ni indiscrète, ni indifférente.
- Les soldes commencent mercredi.
- Elles ont commencé lundi dernier en Belgique.»
Je cherche un moment la relation entre les soldes et le docteur Labro, mais voyant ma mine hagarde, ma fille me répond sur un ton exaspéré:
« Ben oui, il me faut des bas de contention.
- Ah, c'est vrai, dis-je d'un air entendu.»
Je casse mes œufs et mélange mon appareil à quiche.
« Tu peux en demander à la pharmacie et ils te les avanceront sur ta prochaine ordonnance. Tu aurais pu t'y prendre plus tôt, non ?»
Je trouve exagéré de demander des bas de contention pour les soldes, je n'en portais pas étant serveuse, mais bon...
Mardi matin.
Pauline passe une heure dans la salle de bains, comme tous les matins. Nous nous demandons toujours ce qui lui prend tant de temps. Nos enfants sont les plus beaux du monde, c'est bien connu, alors pourquoi se pomponner ainsi ?
Elle dévale tout à coup l'escalier, attrape un morceau de quiche emballé, une bouteille d'eau, fourre le tout dans sa besace bien remplie et, lançant un « à ce soir » à la cantonade, file attraper son train.
Mardi soir.
Marc est énervé, un dossier qui n'avance pas au bureau, la pression des délais à tenir, la crainte d'être moins performant que ses coéquipiers et d'être mal noté, voire renvoyé.
Il gare la voiture et rentre chez lui.
Léa l'accueille comme … oh comme il y a bien longtemps, quand ils étaient jeunes mariés. Dîner soigné, tenue sexy, le grand jeu.
A la fin du repas:
« Dis, ça ne t'ennuie pas de me laisser la carte bleue demain ?
- Tu as perdu la tienne ?
- Non, mais le compte courant ne va pas suffire.
- Hein, mais que vas tu encore acheter ?
- Ça ne te coûtera rien.
Marc la regarde, amusé.
- Si c'est gratuit, pourquoi veux-tu la carte ?
- J'ai fait mes repérages, d'ailleurs ça m'a épuisée.
Il lève les yeux au plafond -tiens, il faudrait le repeindre- sa femme a perdu la notion du mot « épuisant » depuis qu'elle ne travaille plus.
Il tend la carte en faisant semblant d'écouter les merveilleuses économies qu'ils vont faire -à acheter des vêtements inutiles et des draps encombrants- dont sa femme lui parle sur un rythme de mitraillette. Il sait très bien qu'elle lui achètera une minable cravate et remplira leur armoire de toutes ces robes dont le prix est inversement proportionnel à leur solidité. Ce qui le sidère le plus, ce sont ces couleurs qui changent d'une année à l'autre et passent du statut de « indispensable » à celui de « cauchemardesquementringarde ».
L'an passé, Léa avait méprisé les "foldingues" qui se précipitent dès le premier jour des soldes et avait doctement expliqué à son mari qu'elle irait à la démarque de 70%, la deuxième ou troisième semaine. Cette année, elle changeait de tactique, disant qu'on ne trouvait que des horreurs dès le troisième jour.
Mardi.
Pauline, tout sourire, ravissante dans sa robe moulante, la coiffure aussi impeccable que si elle sortait de chez le coiffeur, fait le tour de ses collègues pour les saluer. Elle file au vestiaire et change ses superbes bottes à talons pour des escarpins violets plats. Elle commence à étiqueter les boites. Cela fait presque une semaine qu'elle travaille ici. C'est tout à fait différent dans ce magasin là. Il y a plusieurs réserves, les boites ne sont pas rangées par ordre alphabétiques selon le nom du modèle, mais selon le code chiffré. Les piles sont partout, dans les couloirs, les pièces, sur l'escalier, piles si hautes qu'il faut un escabeau. Mais dans le couloir, impossible de déplier l'escabeau, pas de place. Les soldes commencent demain, Pauline a presque fini d'étiqueter. Plusieurs fois elle a manqué faire tomber toute une pile en prenant une boite. Elle doit déplacer des colonnes pour atteindre une autre dans les angles des étagères.
La gérante vient de lui dire qu'ils attendent une nouvelle livraison. Mais où vont-ils mettre tout ça ?
Ce sont des chaussures de la nouvelle collection. Les clientes, si contentes de faire des affaires en or avec la collection d'hiver, vont acheter à prix fort une paire de chaussures d'été...
Mercredi
Léa enfile de jolis sous-vêtements, elle se souvient de la honte qu'elle a eue aux derniers soldes, elle portait un soutien-gorge grisâtre et avait essayé une robe sans bretelles. Pas de miroir dans la cabine, le regard des clientes l'a tuée. Collants, chaussures qui vont aussi bien avec une robe qu'un pantalon, veste dernier cri, la voilà dans son auto chic.
Parking souterrain.
Grands magasins.
Jouer des coudes pour attraper les modèles repérés et déjà essayés.
Peu de queue aux caisses, il n'est que 10 heures dix.
Mercredi.
10 heures. Écouteur sur les oreilles, Pauline attend,l'air détendue, dans le magasin impeccablement rangé. Pourtant elle a failli ne jamais arriver. Son train de banlieue a été annulé sans explications, puis le R.E.R. était bondé, elle a du forcer pour entrer. Et un c... de groupe de touristes a bloqué les tripodes à la sortie aux Halles. Charmes de la vie parisienne...
11 heures, on ne peut absolument plus circuler dans les rayons, Pauline est en réserve, elle et son collègue fournissent sans cesse les modèles demandés via leurs écouteurs par les vendeurs du magasins. Heureusement ils s'entendent bien, la responsable du magasin a su souder son équipe.
Mercredi.
Deuxième magasin. Dans celui-là, Léa n'a pas eu le temps d'essayer les modèles avant.
Déjà la queue, la bousculade, elle s'énerve contre une vendeuse.
« Seulement trois articles en cabine, Madame, s'il vous plaît »
Depuis l'ouverture, c'est la centième fois qu'elle répète la consigne, pourtant placardé en gros.
Léa est la reine du monde, son régime a payé, elle rentre dans la taille tant convoitée.
Cinq gros sacs en main, Léa s'installe au café pour attendre ses copines.
Deux heures plus tard, après un bon repas, elles se ruent dans les rayons en rigolant comme des collégiennes.
20h30.
Marc rentre chez lui. Les lumières sont allumées, mais il n'y a personne.
Il troque son costume contre une tenue décontractée.
Il entame un saucisson, feuillette le courrier.
21 heures, Léa rentre, le cheveu en bataille, claque la porte, balance ses chaussures à travers le salon et dit:
« Tu es déjà là ? Oh, dis moi, toi qui es chaussé, peux-tu aller me chercher les sacs qui restent dans ma voiture ? Je suis morte.
Marc soupire. Préfère y aller que d'argumenter.
Léa est heureuse de lui montrer toutes les « merveilles » qu'elle a achetées. Deux fois il a tenté de lui dire que cette jupe ressemblait comme deux gouttes d'eau à celle qu'elle avait déjà ou que ce pull lui était étrangement familier, mais …
Inutile de demander s'ils vont manger ce soir, elle l'embrasse, lui dit qu'elle n'a pas faim et va s'enfoncer moelleusement dans son bain moussant.
Mercredi.
15 heures, pause déjeuner.
Faire la queue au Mac Do. Oublié sandwich dans train.
Boire.
Mal aux pieds.
Trop de bruit, trop de monde, s'allonger... non, retourner bosser.
17 heures.
Une vendeuse a tourné de l'œil. Pauline la remplace dans le magasin.
C'est un vrai champ de bataille. Boites éventrées, paires dépareillées, bourrage en papier des chaussures et des sacs jonchent les allées, personne n'a le temps de les ranger.
20h30.
Affalée sur le divan devant la télé, les pieds dans une bassine d'eau salée tiède, Pauline boit des litres et des litres de jus d'orange, en pianotant distraitement sur son ordinateur portable.
« Vivement dimanche !
- Parce qu'il y aura moins de monde ? Ai-je demandé à ma fille.
- Non, parce que je suis payée le double. »
Jeudi
5 heures du matin.
Lumière Céleste remonte l'édredon sur le cou de Fils Espéré et chausse ses baskets avachis. Elle prend le premier bus bondé qui la conduit à l'usine.
Comme tous les jours elle coudra les pièces de vêtements voués à l'exportation, loin de se douter des prix exorbitants qu'ils sont vendus (même en solde) en Europe. Elle aurait bien besoin d'un manteau.